La prochaine journée d'étude du GT RIM se tiendra le 24 novembre 2023 prochain, à Paris. Cette journée traitera du risque et de l'incertitude sur des temporalités longues : comment composer avec l'héritage du passé pour appréhender des futurs distants et fortement incertains dans les organisations ?
Alors que les transformations de nos sociétés s’accélèrent et imposent un véritable culte de la vitesse et de l’immédiateté (Rosa, 2010), les défis majeurs auxquels se confrontent nos organisations nous projettent dans des temporalités parfois très lointaines. Qu’il s’agisse d’imaginer un futur éloigné et particulièrement incertain, ou de composer avec l’héritage d’un passé collectif, naviguer à travers ces multiples échelles temporelles est devenu une compétence organisationnelle incontournable. La gestion des risques et des crises exacerbe ce sentiment de « grand écart » temporel.
D’une part, il s’agit de penser les incertitudes climatiques, humanitaires, politiques ou encore technologiques en se projetant dans plusieurs décennies, et prendre dès aujourd’hui les décisions qui permettraient d’éviter, de mitiger ou de vivre avec les aléas du futur. Ansi, la pétition qui demande aux entreprises de « faire une pause d'au moins six mois » dans la course aux intelligences artificielles génératives, signée en mars dernier par des centaines de chercheurs et figures de la tech comme Elon Musk et Yoshua Bengio, est illustrative - au-delà d’enjeux géopolitiques et stratégiques - de la difficulté, même pour les experts d’une technologie, à se projeter en confiance dans un futur technologique “maîtrisé”, où les risques seraient “apprivoisés” et encadrés, sociétalement, par une régulation adéquate.
D’autre part, nos organisations et nos modes de management sont façonnés par une histoire, une culture, un patrimoine, qui s’imposent parfois aux acteurs. La manière dont les incertitudes passées ont été “mises en risque” (Taylor-Gooby & Zinn, 2006; Zinn, 2009) fait partie de cet héritage et laisse des traces matérielles, cognitives et relationnelles qui influencent notre capacité à gérer les alertes présentes (Steyer, 2013), mais aussi nos projections vers le futur. A titre d’illustration, le rapport de la commission d’enquête parlementaire "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France" dont les conclusions dénoncent la "lente dérive" et la "divagation politique, souvent inconsciente et inconséquente" depuis le milieu des années 1990, peut se lire comme une projection défaillante vers un futur (politique et technologique). Projection liée, en partie, à des horizons temporels différents entre mondes politique, industriel et scientifique, mais qui n’est pas sans conséquences quant à notre capacité présente à affronter des risques qui prennent aujourd’hui des formes différentes de ce que l’on imaginait hier (risques de souveraineté, d’approvisionnement, de compétitivité, mais aussi climatiques), nous amenant à composer avec des savoirs et des compétences perdues ou en jachères.
Ces exemples technologiques et climatiques remettent en lumière la question de l’articulation entre risque, incertitude et temps long, qu’ils soient passés ou futurs. L’objectif de cette journée d’étude du GT AIMS RIM (Risque Incertitude et Management) est ainsi d’interroger et déconstruire ce rapport que les organisations entretiennent au temps, et à la façon de le « mettre en risque ». Nous invitons ainsi des travaux souhaitant explorer plus largement l’articulation entre incertitude, risque et temporalité(s).
Les travaux présentés lors de cette journée pourront par exemple s’articuler autour des thématiques suivantes (bien entendu non exhaustives) :
Thème 1. Représentations des futures incertitudes et risques
De nombreux défis contemporains - comme la transition énergétique, l’intelligence artificielle, les tensions géopolitiques et démographiques, et bien d’autres - invitent les organisations à se projeter dans un futur (plus ou moins lointain). Penser l’action organisationnelle au “futur” en imaginant (et en discutant) les potentialités à venir conduit souvent à envisager les incertitudes et les risques. Une première thématique que les participants à la journée d'étude sont invités à considérer est donc celle des liens possibles entre le futur, les potentialités, et les incertitudes et risques. Une approche “performative” de ces pratiques organisationnelles associée à la “gestion”/prise en considération du futur et de ces incertitudes peut permettre de s’interroger sur la façon dont les acteurs organisationnels pensent les liens entre leurs “représentations (du futur, des incertitudes”) et la “réalité”. Par ailleurs, le caractère systémique et multi-niveau des incertitudes composant le futur de nos sociétés vient challenger les modes de représentation traditionnelle du risque (Heikkurinen et al., 2021 ; Nyberg et al., 2022). Les approches par la complexité ou multi-niveaux peuvent ainsi s’avérer prometteuses pour réconcilier des enjeux multiples et étroitement imbriqués dans le futur.
Quelles pratiques les acteurs organisationnels utilisent-ils pour imaginer / envisager les futurs possibles pour leur organisation ?
Comment leurs pratiques (communicationnelles, sociales, matérielles) - comme la construction de scénarios, et bien d’autres - influencent/modèlent/façonnent-elles leurs “représentations” du futur et des incertitudes ?
Quel(s) discours et mode(s) de raisonnement (ex. raisonnements contrefactuels) sont produits/s’expriment au cours des ces pratiques et comment ceux-ci sont-ils (ou non) réalisés ?
Lorsque les acteurs organisationnels se projettent dans/envisagent le futur, quelles formes de cognition sont impliquées ?
Comment l’imagination par exemple est-elle utilisée dans les organisations pour penser les risques et incertitudes ?
Comment l’imagination, se combine-t-elle avec d’autres formes de cognition “chaude” (émotions, intuition) ou plus “froide” (outils de “prediction” mathematique, modèles de simulation).
Comment ces différents éléments s’imbriquent ils dans des processus de “sensemaking prospectifs” ?
Comment les concepts d’Anthropocène et de limites planétaires sont-ils appropriés par les organisations pour penser et gérer les incertitudes futures ?
Thème 2. Gestion des connaissances dans les temporalités longues
Penser l’activité future invite à interroger les relations intra- et inter- organisationnelles dans la gestion des connaissances (Grant & Baden-Fuller, 2004). Cette gestion des connaissances voit se croiser des enjeux stratégiques (e.g. renouveler les savoirs, développer des compétences, créer des relations apprenantes, etc.) et opérationnels (perte de compétences individuelles et collectives, connaissances oubliées, fragmentation des compétences, difficultés d’apprentissage, etc.). Cela se traduit notamment par un ensemble de pratiques et d’agencements plus ou moins formalisés dans et entre les organisations pour assurer la conduite de l’activité présente et future (Orlikowski, 2002). Plusieurs réflexions peuvent servir de point de départ pour échanger autour de ce thème :
Quelles tensions entre la centralisation des connaissances (et son stockage) et une approche collective de la connaissance ? Quels supports organisationnels à ces deux approches de la connaissance ?
Comment penser le présent pour le porter dans le futur ? Comment les générations futures vont-elles pouvoir créer le passé ?
Comment gérer l’oubli organisationnel, entre oubli choisi et oubli subi, entre ignorance consciente (on sait que l’on ne sait pas) ou non (on ne sait pas qu’on ne sait) ?
Thème 3. Gestion collective des périodes post-crises
Dans un contexte de crise croissant et d’incertitudes systémiques (Christensen et al. 2015), gérer et prévenir les crises devient un enjeu prédominant au niveau organisationnel (scandale, fraude, cyber-sécurité) comme pour la compréhension des phénomènes transfrontaliers (Ansell et al. 2010) et à grande échelle (incendies, catastrophes industrielles, conflits politiques). Si les pratiques de gestion de crises semblent davantage souligner l’importance des analyses multi-niveaux, la question de la temporalité dans l’étude de ces phénomènes reste un sujet encore émergent. Des travaux mettent notamment en evidence les pratiques se développant dans des organisations temporaires ou fast response organizations(Bechky & Okhuysen 2011). Les auteurs soulignent en particulier la nécessité de developper des pratiques permettant aux acteurs de répondre à l’urgence et gérer les surprises mais mettent également en reflet l’importance de penser la gestion de l’incertitude sur le long terme, par exemple au travers de la réorganisation des routines ou des roles ( Bechky & Chung 2018). Les participants à cette journée d’étude sont invités à appréhender la question de la temporalité notamment sur le long terme dans la gestion des risques et des crises sous différents aspects et en mobilisant différents cadres théoriques (approche par les ressources, pratiques etc) :
● Dans quelles mesures les organisations peuvent durablement intégrer le travail de mémoire dans l’apprentissage post-catastrophe ?
● Comment gérer les émotions et le stress associés à la crise tout évitant l’oubli organisationnel ?
● Comment gérer le traumatisme pour les acteurs de l’après- crise ?
● Comment les acteurs peuvent orienter leurs pratiques temporaires de réponse à un incident dans une perspective long terme ?
Objectifs de la journée
Le groupe thématique encourage les travaux à forte dimension théorique, méthodologique ou empirique, qui proposent de renouveler les approches classiques des formes d’action collective organisée à l’aune des risques et des incertitudes contemporains, en considérant les apports de travaux plus récents. On pourra notamment penser aux travaux s’inscrivant dans les perspectives suivantes (liste non exhaustive) : spatial perspective of organization, sensemaking, attention-based view, sociologie pragmatique, valuation studies, approches « practices » variées (avec un intérêt certain pour l’étude de la matérialité), approches discursives/CCO, sociologie des controverses, agnotologie.
Plusieurs types de contribution sont ainsi attendus, qu’ils soient théoriques, méthodologiques, épistémologiques et / ou empiriques, et dès lors qu’ils adressent de manière explicite les notions de risque, d’incertitude ou de temporalités.
Afin de permettre une réelle discussion des papiers, le nombre de places, incluant les contributeurs, est limité.
Calendrier
Date limite de soumission des résumés étendus : 29 septembre 2023 (merci de manifester votre intérêt par email dès que possible)
Retour des avis aux communicants : début octobre 2023
Envoi de la version finale de la communication : 24 octobre 2023
Les résumés et les versions finales sont à envoyer par courriel à : julie.mayer@polytechnique.edu et à veronique.steyer@polytechnique.edu.
Frais d’inscription
La journée ne comporte pas de frais d’inscription. Les frais de transport et de restauration sur place (déjeuner) seront à la charge des participants. Pour les non-adhérents à l'AIMS, il faut y ajouter l’adhésion à l'association (30€, 15€ pour les doctorants) voir http://www.strategie-aims.com/adherents/adhesion-aims/.
Comité d’organisation de la journée
Véronique Steyer (i3-CRG, Ecole polytechnique)
Julie Mayer (i3-CRG, Ecole polytechnique)
Laure Cabantous (ESCP Business School)
Geoffrey Leuridan (IMT Atlantique)
Nour Kanaan (Université de Lille)
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